Au pays des glaciers
Quelques kilomètres au Nord Ouest de Puerto Natales commence le « Campo de Hielo Patagonico Sur », ou le « Champ de Glace Sud de Patagonie ».
C’est une immense étendue de glace, de plus de 350 kilomètres de longueur, qui se situe à la frontière entre le Chili et l’Argentine. Pour avoir un ordre d’idée, il s’agit de la troisième plus grande étendue de glace du monde…juste après l’Antarctique et le Groenland (sans surprises !).
Une deuxième étendue de glace se trouve plus au Nord : le « Campo de Hielo Patagonico Norte » (on a fait bien original pour ces deux champs de glace !), qui se trouve le long de la Carretera Austral (nous y reviendrons dans un article à venir !).
Pour mieux comprendre la géographie du coin, il faut revenir environ 110 000 ans en arrière, lors de la dernière période de glaciation, à l’époque ou la majeure partie de la planète était couverte de glace.
Les champs de glace couvrent une telle étendue de montagnes, qu’ils les enveloppent entièrement. Ils débordent par les vallées, et forment des glaciers. Ainsi, le Champ de Glace Sud est bordé par une cinquantaine de glaciers, qui s’étirent tous sur plusieurs dizaines de kilomètres dans les vallées.
Aujourd’hui, il y a deux moyens pour voir à quoi ressemblait la planète en ces temps lointains : venir en Patagonie pour s’approcher des glaciers qui dévalent les vallées, ou regarder les aventures de Scrat l’écureuil dans « L’Age de glace 1, 2 et 3 ».
Cette région nous a tout simplement fasciné !
Le Parque Nacional Los Glaciares, en Argentine, est notre prochaine étape : nous stoppons dans la ville de El Calafate, sans grand intérêt, sinon qu’elle donne accès au Perito Moreno, un des glaciers les plus connus du monde !
Nous y allons l’après midi afin qu’il ait un peu fondu au soleil dans la journée, et que nous puissions l’entendre gronder, craquer, ronronner, et s’effondrer dans le lac Argentino.
Depuis des passerelles qui permettent son observation, nous admirons le spectacle saisissant de son front de 5 km de large, sur 60 à 80 m de hauteur : une véritable muraille de glace !
Et cette muraille se meut constamment ! D’énormes pans de glace de plusieurs tonnes s’effondrent régulièrement dans le lac dans un fracas monumental. Au moment où nous y avons assisté pour la première fois, je me suis tourné vers Pauline que j’ai trouvé littéralement bouche bée devant ce spectacle captivant. Ce sont des glaçons géants qui tombent dans un lac, en provoquant parfois de mini-tsunamis à la surface de l’eau !
Pour ceux qui se demanderaient si on a retouché les photos, eh bien même pas ! Ce bleu est parfaitement naturel, même si on le croirait colorié naïvement par un enfant ! La couleur bleue intense de la glace par endroits est en fait due à la densité de celle-ci. Plus la glace est comprimée et donc dense, plus elle paraitra bleu électrique. En effet, le spectre de lumière qui traverse la glace est alors filtré pour ne laisser passer quasiment que la couleur bleue ! CQFD
Nous passerons donc près de quatre heures devant ces murs de glace, à les observer, à guetter le moindre grondement annonçant la chute d’un bloc de glace, à repérer les cavités creusées par l’eau dans les parois du Perito Moreno, à admirer les merveilles que la nature peut sculpter !
Mais au-delà des glaciers, cette région est aussi un enchainement de steppes balayées par les vents (surtout du côté argentin) et de montagnes acérées, contreforts de la Cordillère des Andes, que nous retrouvons après nous en être éloignés en Terre de Feu.
Durant les semaines que nous passerons dans cette région des Glaciers, nous alternerons les passages de frontière entre le Chili et l’Argentine :
Lors du premier passage, du Chili vers l’Argentine, le vent nous imposera une pause forcée. Finalement, elle aura du bon : elle nous permettra de nous accorder une journée de détente…avec nos nouveaux amis les douaniers Argentins, Mauricio, Victor, Omar, Santiago et les autres. Le soir, nous leur préparons des crêpes, que nous dévorerons avec du Dulce de Leche, une sorte de confiture caramélisée au lait, spécialité locale succulente ! Le lendemain, nous jouons au Ping-pong avec eux, et avons droit à un cours de cuisine : nous préparons des empanadas, ces jolis chaussons fourrés au poulet, au maïs ou aux légumes.
Les douaniers Argentins, de fins cordons bleus ? Qui l’eût cru ?
Le deuxième passage de frontière, de l’Argentine vers le Chili, est une toute autre histoire, beaucoup moins pédagogique, et beaucoup plus sauvage !
Après la traversée du Lago del Desierto sur un ferry minuscule et balloté par des rafales monstrueuses nous devrons passer dans un no man’s land de environ 7 kilomètres, au milieu de la montagne.
Prenez un chemin de randonnée de montagne, prenez six cyclistes français chargés chacun d’un vélo et de quatre sacoches de près de 40 kg. Imaginez ces six cyclistes en train de batailler pour monter tout leur précieux chargement dans des sentiers étroits et boueux. Imaginez ces six cyclistes en train de maudire le moment où, dans la préparation de leur voyage, ils ont pourtant pesé chacune des pièces de leur équipement afin d’en optimiser le poids. Imaginez ces six cyclistes en train de traverser avec leurs montures des rivières alimentées par l’eau gelée des glaciers et où aucune autorité nationale n’a eu la force de venir construire ne serait ce qu’un semblant de pont. Imaginez ces six cyclistes s’arrachant les mollets et les sacoches contre des buissons rampants et épineux (mais produisant au demeurant de délicieuses baies pour retrouver les calories dépensées dans l’effort).
Ces 7 petits kilomètres, ces 7000 mètres, nous mettrons 5 heures et demie pour les parcourir. Nous ne prendrons pas la peine de calculer notre vitesse moyenne, trop peureux de faire pâlir les plus sportifs d’entre vous !
Entre ces deux passages frontières plutôt folkloriques, nous avions parcouru quelques centaines de kilomètres. Ces kilomètres auront été marqués par du vent (pour changer), de la pluie (ah, là ça change), des steppes qui se transforment petit à petit en collines, en monts, puis en montagnes.
Le relief devient petit à petit moins ennuyeux, plus ludique, plus agréable. Cela permet à nos esprits exténués par les tourments du vent de se reposer sur des formations géographiques moins monotones.
Les quelques bivouacs que nous faisons nous accordent cependant un repos limité : nous dormirons dans une bergerie typique à souhait, ou des peaux de moutons pendent pour sécher (et impressionner volontairement les visiteurs cyclistes peu accoutumés à ces visions rurales ?), des bouts de chair et de laine sont collés au plancher, et des membres de mouton jonchent les alentours de notre abri de fortune.
Nous passerons également une nuit mémorable, sous des rafales à près de 100 km/h, à lever les bras des heures durant pour maintenir les arceaux de notre tente qui ploient sous les coups de boutoir.
Mais après tout, nous sommes venus ici en quête d’aventure, non ? Nous voilà servis après ce passage au milieu de la région des glaciers !