top of page

LE BLOG

Le Sud Lipez : vélo brisé, vélo martyrisé, mais vélo libéré

San Pedro de Atacama, le nom fait rêver et évoque des aventures dans des déserts arides, à l’image de celles qu’ont vécu les coureurs du Dakar 2015 passés par ici 5 mois plus tôt.


Notre halte dans la ville de San Pedro, que nous trouverons exagérément touristique, nous permet d’aller en vélo à la découverte de la Vallée de la Lune, couverte d’une couche de sel semblable à de la neige fraîche, et d’aller observer au télescope étoiles, nébuleuses et voie lactée le temps d’une soirée.




Nous passons cinq jours chez Carlos, qui organise chez lui une Casa de Ciclistas. Une Casa de Ciclistas, vous savez, c’est cet endroit incroyable où peuvent se côtoyer sur une même étagère une chambre à air, un sachet de lait en poudre et une bouteille d’essence. La Casa de Ciclistas, c’est aussi cet endroit où dorment, souvent les uns sur les autres, des hommes et des femmes aux mollets venus du monde entier.

Carlos nous accueille pendant ces cinq jours avec un altruisme déroutant. Chez lui nous ferons la rencontre de Kevin et Vincent, deux français fans avant tout de sushis, et ensuite de vélo, et de Benjamin, un autrichien qui garde une pêche d’enfer, même lorsque le mal d’altitude le terrasse. Nous y rencontrerons également Etienne et Laetitia qui voyagent en tandem, Yannick et Mathilde qui ont une préférence pour les routes asphaltées, et Sebastian, un espagnol aux étranges bottes de vélo.



Au delà de ces rencontres enrichissantes, la Casa de Carlos présente l’intérêt d’être le meilleur endroit pour obtenir des nouvelles fraîches de l’état des routes dans le proche désert du Sud Lipez : les cyclistes qui en viennent et ceux qui vont s’y perdre se croisent ici, au milieu des clefs à molette et des sacoches Ortlieb.

San Pedro est une oasis au milieu du désert, et constituera en effet notre base arrière pour préparer notre expédition à venir dans ce désert du Sud Lipez, nos premiers pas en Bolivie. Nous nous pencherons tous ensemble sur des cartes et des articles de blogs, et échangerons ainsi des tuyaux avec ces cyclistes croisés chez Carlos.


Nous profitons aussi des dernières boutiques avant les dix prochains jours pour faire des courses et avoir ainsi un plein de vivres digne des tables de ravitaillement des trails que nous avions l’habitude de courir en France : purée, pâtes, riz, huile, pommes de terre, chocolat, cookies, lait en poudre, flocons d’avoine, fruits secs, crackers, pain, farine, confiture, essence pour le réchaud… Nous voilà bien chargés !



Et puis vient le jour du départ, attendu avec un mélange complexe d’appréhension et d’impatience.


Parce que c’est ça le Sud Lipez, ce désert tout au Sud Ouest de la Bolivie : il faut en avoir préparé la traversée en vélo pour en saisir la complexité, pour comprendre l’engouement dont il fait preuve. Mieux : il faut l’avoir traversé pour comprendre pourquoi c’est devenu une des étapes incontournables de tout voyage à vélo en Amérique du Sud. D’aucun diront même que c’en est l’étape phare.


Pour traverser le Sud Lipez en vélo, il faut être prêt à affronter les éléments dans leur déchainement le plus complet, il faut avoir une bête de somme prête à transporter plusieurs jours de nourriture, il faut avoir un mental à l’épreuve du sable et du froid.


Rien que la montée pour y accéder vous achève n’importe quel cycliste, même s’il a la meilleure volonté du monde : 43 kilomètres, pour passer de San Pedro de Atacama (2500m d’altitude) à la frontière entre le Chili et la Bolivie (4600m d’altitude), là où commence le Sud Lipez.


Frais comme des gardons après nos cinq jours de repos à San Pedro, nous ne voulons pas nous crever dès le début avec cette montée et décidons de nous rendre à l’entrée du Sud Lipez en stop depuis les faubourgs de San Pedro de Atacama. C’est Fidel, un Brésilien adorable qui voyage en 4x4, accompagné de son escorte de motards, qui nous donnera cette petite pichenette avant le grand saut.



Et pour un saut c’en est un : Fidel nous dépose au bord de la route, au croisement entre l’Argentine (là d’où nous étions arrivés une semaine auparavant, via le fameux Paso de Jama ; à revivre dans nos articles précédents), le Chili et la Bolivie (où nous nous apprêtons à plonger).

Il faut imaginer l’endroit où nous sommes largués avec nos vélos et tout notre chargement : nous sommes à plus de 4600m d’altitude, et après une petite semaine à 2500m d’altitude et malgré nos passages précédents en altitude, nous galérons tout de même un peu à respirer. Le simple fait de décharger les sacoches et les vélos du 4x4 de Fidel nous essouffle (il nous offre d’ailleurs deux bouteilles d’oxygène portable, au cas ou). Deux gigantesques volcans à la pointe enneigée nous dominent, comme pour nous rappeler qu’on est peut être à 4600m mais qu’eux sont bien plus hauts. Devant nous s’étend une route asphaltée bien lisse entre le Chili et l’Argentine. Sur notre gauche, une piste de terre et de cailloux s’aventure derrière les deux volcans gigantesques, dans des étendues peu engageantes de sable et de poussière.

Eh bien c’est cette dernière route que nous devons nous élancer. Nous y sommes, plus moyen de renoncer ni de changer de route. Quoi que pour retourner à San Pedro de Atacama, nous aurions droit à une bien belle descente de 4600m à 2500m !



Nous nous sentons un peu comme Mike Horn lorsqu’il prend pied sur la banquise lors de son départ dans les ténèbres pour le Pôle Nord (voir son livre « Objectif Pôle Nord de nuit ») : à la fois excités et intimidés.


Une fois passés par l’édifice délabré de la douane bolivienne, nous pédalons sur les traces des 4x4, pendant une dizaine de kilomètres jusqu'au bâtiment de l’entrée de cette région, qui est le parc « Reserva Nacional Eduardo Avaroa ». Nous demanderons aux gardes si nous pouvons y passer la nuit, afin de se protéger du froid et d’éviter de camper.



Nous voilà donc lancés, embarqués dans ces dix jours qui seront surement être l’étape la plus éprouvante et la plus physique de tout notre voyage. Plutôt que de vous détailler chaque journée, nous allons vous résumer toutes nos aventures regroupées dans une journée type dans le Sud Lipez (ça fait de la belle journée).


Nous nous réveillons dans le bâtiment des gardes du parc, les lombaires endoloris de cette nuit sur nos matelas gonflables. Il a fait froid, mais certainement moins que dehors.

Et la température nous sera confirmée dès la reprise du vélo : les gourdes ont eu la chance de passer la nuit dehors sur les vélos, et l’eau s’est convertie en un bloc de glace de 1 litre. Les canalisations du bâtiment des gardes congèlent toutes les nuits et nous ne pouvons donc pas faire le plein d’eau. Il nous faudra donc attendre que l’eau fonde pour boire. Nous ne ferons cette erreur qu’une fois : la température monte peu en journée, et la glace met beaucoup de temps à fondre.


Puis nous prenons la route, ou plutôt la piste, pour sillonner pendant douze jours entre 3850m et 4950m d’altitude.



Les routes du Sud Lipez mériteraient un article de blog à elles seules : c’est toute la difficulté de cette traversée en vélo.


Pendant cette traversée nous aurons droit à du sable, à des cailloux, à de la poussière, à du sel, à de la boue, à de la tôle ondulée…

Chacun de ses revêtements à ses inconvénients…et aucun avantage, sinon le côté sauvage :

- Le sable nous ralentit, parfois tellement que notre roue-avant s’enfonce. Cela nous force à pousser les vélos sur des centaines de mètres. Et ne parlons pas des grains de sable qui s’infiltrent dans les moyeux et tous les roulements.



- Les cailloux déchirent nos pneus et font faire des soubresauts au vélo qui ne semblent pas lui réussir : au bout de deux jours seulement mon porte-bagages avant rend l’âme. N’ayant pas croisé Mc Gyver dans le Sud Lipez, il sera rafistolé avec un simple bout de ficelle.



- La tôle ondulée fatigue nos bras (ça tombe bien, les jambes étaient les seules à bosser dans l’équipe) et dévisse petit à petit le moindre boulon de nos vélos.



- La poussière en soit ne nous dérange pas. C’est lorsqu’un 4x4 nous double que ça devient pénible. Nous devons alors retenir notre respiration quelques secondes pour ne pas inhaler le nuage de poussière, et lorsque nous respirons à nouveau, nous trimons pour retrouver notre souffle tant le manque d’oxygène commence à être important à cette altitude.



- Le sel est la surface la plus agréable. Quel plaisir d’entendre le salar croustiller légèrement sous nos pneus, surtout après ces étendues de caillasse à n’en plus finir. Et surtout, nous avons l’assurance que ce sera parfaitement plat sur plusieurs dizaines de kilomètres. Le salar d’Uyuni est en effet le plus grand désert de sel au monde (en anglais, on appelle ça « Salt Flats », et dans Salt Flats, il y a Flat, et Flat ça veut dire « plat », et ça, ça fait plaisir). Le revers de la médaille (il y en a forcément un, nous sommes dans le Sud Lipez): le sel oxyde les petites pièces métalliques de nos vélos sur le moyen/long terme, ce qui est d’autant plus vicieux que tous les autres types de revêtement.



- La boue est le pire : les deux journées où nous avons du lui faire face, notre compteur a affiché la vitesse moyenne record de 5km/h ! Les salars (grandes étendues de sel séchés) qui couvrent toute la région sont parfois peu salés et très boueux. Lorsqu’il vient de pleuvoir ou de neiger, ces salars deviennent alors de gigantesques champs de boue. Nous l’avons découvert à nos dépens !

Cette boue est vicieusement gluante et s’incruste petit à petit dans les patins de freins et les garde-boue. Au bout d’une centaine de mètre à s’accumuler, la boue bloque finalement parfaitement les roues. Plus moyen d’essayer de pédaler, les roues ne tournent plus tant la quantité de boue qui s’y est amoncelée est fatale. Vient donc le moment où il faut se décider à pousser.

Et c’est là que l’aventure commence, car nos pieds se couvrent également d’une semelle de boue qui ferait pâlir les Spice Girls. Et nous nous arc-boutons de toutes nos forces sur les guidons pour pousser les vélos, souvent à deux sur un seul vélo. Nos pieds dérapent, le poids des vélos les fait glisser et ils s’effondrent à plusieurs reprises. Nous devons sortir les boîtes à outils et démonter les garde-boues après avoir fait tomber plusieurs fois le tournevis dans une boue poisseuse.

Nous y passons tellement de temps que nous devons nous résigner à déjeuner. Sortir le réchaud dans cette gadoue est un défi. Notre casserole se fait happer par la boue, puis nous sommes contraints de manger notre purée fade debout et dépités, les pieds dans la vase.

Nous achevons cette torture en roulant à des endroits où la boue est moins gluante, mais parfois nous passons à des endroits de nouveau humides, ne sachant pas repérer parfaitement les zones où la surface est roulante des zones détrempées, et nos vélos rechutent dans un enfer de boue.

Je vous passe les détails du lavage des vélos, avec une eau à 2ºC, sans brosse et sans jet d’eau. Et pour les morceaux de boue qui auraient échappé au premier lavage, ils durciront comme du ciment et ne seront retirés que plusieurs semaines plus tard. Et oublions le nettoyage des sacoches, qui nous semble superflu (et ça fait warrior d’avoir les sacoches pleines de boue).



Au delà du revêtement des routes, ce qui nous a posé problème a été de ne pas nous perdre dans ces immensités sableuses. Les 4x4 passent partout dans le sable, et ne suivent pas une route bien précise. Du coup, des centaines d’empreintes de Jeep, Land Rover et autres Ford se croisent dans tous les sens et il nous est parfois impossible de distinguer la « piste » principale. Il faut garder en tête que ce que nous voyons, c’est simplement du sable à perte de vue, et parfois, au loin, des volcans enneigés (et ici, là, un petit géranium). Pour ne pas nous égarer, nous interceptons parfois les chauffeurs de 4x4 lorsque nous en croisons, autrement nous nous rabattons vers la fabuleuse application maps.me (Pauline vous en parlera plus longuement dans notre article « pratique » sur le Sud Lipez. Cet article vous permettra d’avoir toutes les clefs en main pour venir découvrir les joies de la boue visqueuse collée à vos semelles !).



Rappelons nous que Carlos, notre hôte à San Pedro de Atacama, qualifiait le désert du Sud Lipez de « Paraiso Infernal », ou Paradis Infernal.

Ce terme n’est pas choisi au hasard, et est même très révélateur de cet endroit. Car au delà des difficultés précédemment décrites, le Sud Lipez offre des paysages incroyables, des perspectives à couper le souffle (un mélange de manque d’oxygène et de surprise) à chaque virage.



Le fait qu’il n’y ait pas de route distincte nous éloigne parfois l’un de l’autre Pauline et moi. Je me retrouve alors avec un panorama digne d’une couverture de National Geographic, avec Pauline pédalant au milieu de nulle part sur des sables gris et ocres, entourée de sommets blanchis surmontés par un ciel bleu entrecoupé de filets de nuages.



Il faut le voir pour le croire : les paysages sont vraiment parmi les plus beaux que nous ayons vus depuis le début de notre trajet en Amérique du Sud. Voilà donc enfin la raison qui amène autant de cyclistes à traverser ce désert réputé si hostile.


La traversée du Sud Lipez, ce sont également des rencontres.

Des rencontres avec des touristes en tour en 4x4, comme ces hollandais et israéliens adorables qui nous ont offert du thé, sachant comme nous en bavons. En échange ils ont eu le droit d'essayer nos vélos !



Des rencontres avec des cyclo-touristes fous comme nous, comme Kévin, Vincent et Benjamin, rencontrés chez Carlos à San Pedro de Atacama.

Des rencontres avec d’autres cyclo-touristes, comme Jacob qui dort dès qu’il le peut dans son hamac (bon courage dans le Sud Lipez, les arbres ne courent pas les rues), et nous a offert des crochets spéciaux pour planter notre tente sur la surface croquante du désert de sel.



Des rencontres avec des chauffeurs de 4x4 boliviens, enfermés dans leur véhicule toute la journée avec des américains, trop contents de pouvoir enfin communiquer avec des hispanophones.

Des rencontres avec d’autres touristes fous, Franck et Laure, qui décident de parcourir le Sud Lipez avec leur propre 4x4, défiant ainsi l’absence de tout mécanicien dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres.

Des rencontres avec deux Français baroudeurs sexagénaires à la générosité exemplaire, Irène et Christian, qui nous ont avancé d'une vingtaine de kilomètres le matin où nous avons découvert qu'une couche de 15cm de neige s'était déposée sur le Sud Lipez. Il était donc d'autant plus dur de se repérer.



Des rencontres avec des locaux, comme Silvia, la propriétaire d’un hôtel de sel dans lequel on s’est offert une nuit réparatrice après les champs de boue.


Pour conclure sur cette traversée du Sud Lipez, je pense que le mieux est de donner les avis de chacun des membres de l’équipe, car on a été partagé sur certains ressentis.


Pour ma part (this is Clement speaking), j’ai trouvé que le Sud Lipez n’était presque pas assez sauvage à mon goût. Je le dis au risque de me faire réprimander par Pauline : le Sud Lipez ne m’a franchement pas semblé aussi rude qu’on nous l’avait annoncé.

Certes le revêtement de la piste n’est pas toujours évident, certes l’altitude ne facilite pas les choses surtout dans les montées, certes le froid est pénétrant, certes la boue m’aura causé des cauchemars et j’en retrouve encore parfois au fond de mes sacoches.

Mais ce n’est pas si isolé qu’on le dit : on croise des 4x4 constamment (la région est très touristique), on trouve facilement des refuges pour chaque soir en fin d’étape et on n’aura donc pas dormi (excepté sur le salar d’Uyuni) une seule fois dehors.

J’aurais souhaité un isolement plus complet, et un nombre de touristes en 4x4 moins important. Mais ces éléments sont également un gage de qualité : le spectacle était au rendez-vous, et l’hostilité de la nature qu’on a vu là bas n’en est pas moins époustouflante.



Ressenti de Pauline : le Sud Lipez était bien entendu l'étape la plus redoutée du voyage... Mais la beauté des paysages a dépassé mes espérances.. Le "Paraiso Infernal" est un terme parfait pour décrire cette région !

J'ai été plutôt surprise en bien sur la qualité de la piste (dans la réserve uniquement, c'est à dire la partie la plus au Sud). On voit que les boliviens "développent" la réserve, on trouve désormais quelques panneaux, la piste est parfois damée, ce qui n'est pas plus mal pour nos bicis !

En ce qui concerne l'isolement, j'ai trouvé pour ma part que c'était très rassurant d'avoir un refuge en objectif chaque jour : cela nous permettait de faire quelques rencontres, manger et dormir au "chaud" (ne nous emballons pas, le chauffage n'existe pas en Bolivie). A mon sens, les journées étaient déjà bien assez éprouvantes !

J'ai également un profond respect pour ceux qui s'aventurent seuls dans ce désert en vélo... Le fait d'avoir un acolyte, quelqu'un avec qui partager les moments durs est indispensable à mes yeux !



Pour accompagner cet article, n'hésitez pas à visionner notre vidéo de cette aventure sur notre page "Videos".


Enfin, pour vous plonger dans une ambiance douce et paisible comme le voyage à vélo, on vous recommande la lecture suivante. Nous avons appliqué à la lettre les recommandations de ce livre. Il faut dire que notre vitesse moyenne lors de notre traversée du Sud Lipez était vraiment tranquille :

  • Eloge de la lenteur, de Carl Honoré



ARTICLES
La fine équipe

PAULINE

La Cht'i 

CLéMENT 

L'hyperactif

 

Le coin des archives
recherche rapide #tags
Pas encore de mots-clés.
bottom of page